Lettre de motivation : hypocrisie à répétition ?

Publié le par IWTW

La lettre de motivation est un exercice difficile, révélateur et qui alimente le marché des ouvrages pratiques... à défaut de permettre aux candidats de trouver un emploi grâce à elles !

Mais pourquoi parler d'hypocrisie ?
Peut-être parce qu'une personne normalement constituée aura du mal à se lever le matin et se découvrir spontanément un intérêt soudain pour telle ou telle entreprise. Pourtant, c'est un préalable nécessaire. En effet, véritable outil démontrant la motivation (réelle ou supposée) d'un chercheur d'emploi, elle est le passeport indispensable à une embauche réussie. Mais elle nécessite au préalable de se poser les bonnes questions... et d'y répondre correctement, sous peine d'être inutile. Pourtant, le simple fait d'écrire une telle lettre est souvent perçu par le rédacteur comme étant une preuve de sa motivation. Faux, archi-faux ! Entre les lettres copiées dans les livres ou sur Internet et celles écrites par un ami, celles truffées de fautes ou qui ne mentionnent pas les bonnes coordonnées, on voit de tout. Et du n'importe quoi : celles préformattées pour un poste qui ne correspond pas à l'offre à laquelle on répond, celles manuscrites mais dont l'écriture est illisible et j'en passe.

En contrepartie, il est frustrant de passer une dizaine de minutes à se renseigner sur une entreprise (seuil presque trop minimal d'ailleurs), puis de prendre le soin de décortiquer l'annonce repérée, de rédiger une lettre sur-mesure et au final d'avoir passé jusqu'à une heure ou deux pour ne jamais recevoir la moindre réponse, malgré les relances ! Il est également mesquin, dans ce système, de demander aux personnes indemnisées, ou qui pourraient l'être, de trouver à tout prix un job, et de se découvrir une passion subite pour des postes très divers, voir sans rapport avec un réel savoir-faire. Ainsi, on se retrouvera parfois à se motiver pour occuper des emplois sans rapport les uns avec les autres, ou situés dans des domaines très divers en une même journée. Quid de son "projet personnel de retour à l'emploi" ? De ses désirs ? De ses véritables compétences ? Comment alors ne pas avoir l'impression d'être un acteur qui s'essaye à différents rôles ? Comment se rappeler avec exactitude ce que l'on a raconté aux uns et aux autres avant d'arriver en entretien ? Et surtout, comment convaincre le recruteur en face, lui affirmer qu'on est une personne fiable, honnête et sérieuse, entièrement passionnée par ce que propose son entreprise sans rougir à un moment ou un autre ? Où commence le mensonge, où se terminent les acrobaties nécessaires pour décrocher un emploi ? Et enfin, pourquoi le simple motif de vouloir gagner sa vie et subvenir à ses besoins ne suffit-il plus ?
Un début de réponse se trouve peut-être dans le fonctionnement inhérent à la société elle-même. Comment rester sincère dans un système où la promotion passe par la rivalité constante ? Si elle est motrice pour bien des gens, qui se disent avoir l'esprit sportif et aimer la compétition, qu'en est-il de ceux et celles qui n'ont pas ce tempérament et qui sont pourtant des gens compétents et motivés ? Doivent-ils stagner, entrer par "la petite porte" et faire leurs preuves en interne, quitte à mettre trois fois plus de temps pour arriver au même niveau que leurs collègues ? Pourquoi sont-ils, d'une certaine manière, discriminés à cause de leur état d'esprit ? Ou sortent-ils tellement du moule qu'il serait dangereux de leur donner trop de responsabilités ? Et cela leur enlève-t-il pour autant d'office toute velléité de promotion sociale ? N'ont-ils pas d'ambition ? Et surtout, n'ont-ils - ou ne se donnent-ils - pas les moyens de leur ambition ?
D'autre part, à l'heure où l'on vante tant la réussite personnelle et l'épanouissement par le travail, comment expliquer à ceux et celles trop/mal orientés/formés que "non, pour vous ça va pas être possible" ? Que vont devenir ces gens, qui ont cru à leurs rêves et se retrouvent face à une réalité brutale où rien ne se passe comme on le leur avait promis ? Pourquoi laisser les étudiants s'engouffrer dans des filières comme la communication, les médias et autres métiers à paillettes alors que l'on sait pertinement qu'ils finiront par galérer au sortir de leurs diplômes et devront encaisser un choc auquel rien ne les prépare ? Pourquoi tant dévaloriser les filières qui ne souffrent pas du chômage ? Mais ma bonne dame, parce que ça ne fait rêver personne de nettoyer des personnes en fin de vie pour un salaire minimal et des horaires épouvantables ! Alors passé l'illusion de l'argent facile et des collègues "trop sympas", on se résigne et on peut même devenir aigre. Pourquoi mentir ? La société biberonnée aux médias hyper glamour découvre avec stupéfaction que les mensurations de la femme "moyenne" ne correspondent pas aux modèles qui s'étalent en couverture des journaux... Et déchante quand on lui parle de l'emploi, du nombre réel de personnes sans emploi et de ceux et celles qui vivotent comme ils le peuvent, occupant des postes précaires, sans espoir de décrocher autre chose qu'un minuscule crédit revolving... Où sont le foyer, le véhicule, les signes (extérieurs) de réussite sociale ? Réduits à une télé grand angle et parfois jusqu'à un an de remboursements pour un objet déjà obsolète à peine possédé ? Les pères et mères jusqu'alors confiants s'aperçoivent que leurs enfants chéris, après des études qu'ils leur ont offertes au prix cher ne tiennent pas leurs promesses. Comment en vouloir alors à tous ceux et celles qui refusent d'occuper des postes sous qualifiés et sous payés ? Parce que, pour rappel, dès lors qu'on accepte, le coeur en berne, un poste  inadéquat, il est bien difficile de justifier ses choix. Et de là à se faire accuser de voler des emplois à moins diplômés que soi, il n'y a qu'une question de temps... car on l'entendra forcément. Alors ? Démarrer coûte que coûte et enchaîner les petits jobs pour finir par un jour, excédé, monter sa propre entreprise et risquer son petit pécule, réuni à coups de privations diverses et variées ou continuer de croire que si ! il est quelque part ce poste promis et qu'on va le trouver, ce n'est qu'une question de temps (et de lettres) ? Choix difficiles, car aucun n'est réellement en phase avec la réalité. Travailler coûte que coûte démontre nombre de qualités mais c'est prendre le risque de bifurquer une bonne fois pour toutes et de se retrouver un jour sur un plateau télé face à un candidat blasé à exposer ses galères et sa rancune, son boulot pour étudiant mal payé et les mois qui passent, les refus qui s'accumulent et le constat amer du "vous n'avez pas assez d'expérience". Refuser et rester chez soi, c'est s'enfermer et conserver intacte son opiniâtreté, mais attention ! l'entourage est rarement prêt à supporter cet état de fait très longtemps. Et plus les semaines passent, plus les chances de trouver s'amenuisent... pour se retrouver dans le premier cas. Ceci dit, écrire une lettre pour devenir vendeur/caissier/manutentionnaire/etc n'est jamais aussi compliqué que pour des postes un peu plus élevés, je vous l'accorde. Sauf que. Sauf qu'un employeur n'est pas dupe : un candidat surdiplômé dans l'équipe, c'est un membre instable ou possiblement à problèmes. C'est prendre le risque qu'il possède un minimum de connaissances en matière de droit du travail et réagisse parfois là où ses collègues ne voient pas de problème, par méconnaissance le plus souvent. Ou qu'il se démotive graduellement, jusqu'à s'écoeurer lui-même et use de quelques tours de passe-passe pour échapper à son quotidien grisâtre, à moins qu'il ne sombre dans une dépression bien réelle. Peu importe, le résultat sera quasi identique : un employé démotivé, dont l'implication personnelle ira décroissante tandis que sa rancoeur - légitime mais pourtant déplacée - augmentera contre son entourage immédiat. Les plus chanceux échapperont bien sûr à ce noir tableau et auront réussi à concilier emploi et recherches, pour trouver un nouvel eldorado. Enfin, les plus philosophes se feront peut-être une raison et trufferont leur vie personnelle d'activités diverses, pour mieux noyer l'inintérêt de leur labeur journalier.
Mais revenons à la question première de l'hypocrisie. Aux personnes trop franches, on reproche un manque de souplesse, à celles qui préfèrent louvoyer ou qui pratiquent l'hypocrisie comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, on dira qu'ils ont "tout compris", qu'ils sont "des requins", on avouera qu'ils utilisent correctement le système puisqu'ils arrivent à leurs fins. Alors, où se situer quand on écrit sa lettre et qu'on a déjà acquis les bases nécessaires à la réussite d'un tel exercice ? Doit-on laisser entrevoir sa personnalité ou se travestir ? A chacun son choix : l'important est d'arriver à se regarder en face lorsqu'on croise son reflet. Une fois cette question résolue, la lettre coule de source. Reste à employer quelques termes usités dans le milieu, placer une ou deux allusions fines qui montrent qu'on s'est un minimum renseigné sur la société et convaincre un parfait inconnu de sa bonne volonté et de ses compétences. Rien de plus simple, n'est-ce pas ? Et il est évidemment inutile de souligner ô combien le système scolaire et universitaire prépare bien à ce nouvel exercice. Pour ceux qui auraient raté ces modules, pas d'inquiétude : l'ANPE a de très bons stages à vous offrir sur le sujet. De quoi vous faire disparaître des statistiques des chercheurs d'emplois trois mois pour un accompagnement en bonne et dûe forme. 8% on vous dit, ça baisse !

Alors, simple d'écrire une lettre ? Passage obligé en tous cas, qui reflète bien des travers de notre société dont la devise, pour information ou rappel, n'est autre que "Liberté Egalité Fraternité". A bon entendeur...

Publié dans Humeurs

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
A
Excellent article, c'est bien simple, j'ai vu mes dix dernières années défiler devant moi.
Répondre